BIENVENUE A LEOGANE, HAITI
Le journal d'un chirurgien à la suite du séisme de 2010

Ce blog se lit chronologiquement de haut en bas.
Certaines images sont suceptibles de choquer la sensibilité des lecteurs.




Le 12 janvier 2010 un séisme de magnitude 7 sur l'échelle de Richter frappe Haiti. L'épicentre se situe au sud-ouest de Port-au-Prince et son diamètre de destruction s'étend sur environ 250 km, comprenant Port-au-Prince et les villes avoisinantes, dont Léogâne...


Haiti en chiffres

Pays le plus pauvre de l'hémisphère ouest, Haiti a longtemps été meurtrie par la pauvreté et opprimée par les gouvernements corrompus.

Quelques chiffres (UNICEF, IHSI):

Habitants: env. 9'000'000
Taux de chômage: 65% de la population active
Pauvreté: 80% des Haitiens vivent avec moins de 1$/jour
Illettrisme: 47% de la population
SIDA: 2.2% de prévalence HIV
Espérance de vie: 58 ans

Bilan du séisme (MSF, AAOS)

Env. 250'000 morts
Env. 275'000 blessés
Estim. 3'000-5'000 amputations
Env. 2'000'000 sans-abris
Port-au-Prince détruite à env. 50%
Léogâne détruite à env. 80%

Chaos et destruction

















Selon les récits de ceux qui étaient sur place, les premiers jours qui suivirent le séisme furent effroyables. Les corps étaient amassés dans les rues afin que les proches puissent les identifier avant de les enterrer dans des sépultures ou des fosses communes. Il fallait faire vite car les corps se décomposaient rapidement et l'odeur était déjà difficilement supportable. Plusieurs semaines après la catastrophe, on retirait encore des cadavres des décombres, et certains quartiers de villes comme PaP étaient imprégnés de l'odeur des ordures et de la putréfaction. Il n'y avait ni eau, ni drainage ni électricité dans la plupart des quartiers de PaP ou des villes avoisinantes.
Léogâne était détruite à 80%, et ses habitants ont dû attendre plusieurs jours avant de voir les premières équipes de secours arriver...

12.1.2010 - 8.2.2010

Dès les premiers jours qui suivirent le séisme, les médias relataient des bilans de plus en plus lourds de victimes. Les images et reportages provenant d'Haiti étaient durs, mais l'on sentait une certaine retenue par rapport à la réalité du désastre.

Médecins Sans Frontières était déjà présent à Haiti avant le séisme. Plusieurs collaborateurs avaient trouvé la mort dans l'effondrement de l'hôpital Trinité à PaP, hôpital géré par MSF depuis plusieurs années.

Devant l'ampleur de la catastrophe, et sachant que ma formation en chirurgie orthopédique et traumatologie pouvait s'avérer utile, je me suis porté volontaire quelques jours après le séisme et me suis mis à disposition de MSF. Les besoins en personnel médical et particulièrement en chirurgiens étaient importants. Il s'agissait d'une mission d'urgence dont la durée n'excédait en général pas 2 à 3 semaines, en raison de la disponibilité des chirurgiens, mais aussi des conditions de vie et de travail sur place.

Les blessés souffraient essentiellement de lésions de l'appareil locomoteur et de plaies. Les chirurgiens, et spécialement les orthopédistes avaient un rôle prépondérant à jouer dans le dispositif de secours et de soutien à la population haitienne.

Durant 2 semaines, je suis resté dans l'attente d'un éventuel départ. Je me tenais au courant de la situation par la presse, les différents sites internet des ONG et des organismes gouvernementaux, ainsi que les instances médicales engagées dès les premières heures, comme l'AAOS (American Academy of Orthopaedic Surgeons).

Le jeudi 5 février au soir, je reçois un appel du QG de MSF-Suisse me demandant si j'étais prêt à partir lundi 8 février au matin. J'ai répondu par l'affirmative sans aucune hésitation. Le vendredi 6 février, je passe une partie de la journée à organiser mon absence: annulation ou report de mes interventions électives des prochains jours, organisation de ma consultation du lundi, remplacement de mes jours de garde...

Travaillant dans un hôpital universitaire en tant que chef de clinique, ma démarche humanitaire a posé quelques problèmes non seulement organisationnels, mais également personnels, mon départ s'inscrivant malgré moi dans un contexte de conflit avec la direction dans le cadre de revendications sociales.

Le dimanche 7 février, les Saints enlèvent la victoire aux Colts lors du Superbowl. Je partais pour Haiti 3 heures après le match...

8 - 9 février 2010

Les Saints gagnent leur premier Superbowl face au Colts sur le score de 31-17, le match était superbe... je partais le matin du 8 février avec un vol de Genève à Madrid, puis de Madrid à Santo Domingo le même jour.

Arrivé en République Dominicaine, mon bagage n'est pas sur place. Après avoir rempli les documents de perte/retard de bagage, je suis conduit à un hôtel et rendez-vous est pris le lendemain matin au QG de MSF à Santo Domingo pour le briefing de départ pour Haiti qui doit avoir lieu dans la matinée. Le briefing est donné par des membres de MSF qui reviennent du terrain, les recommandations d'usage nous sont transmises et nous partons à une dizaine d'expatriés pour un aérodrome de Santo Domingo où un vol doit nous mener à Port-au-Prince d'où nous seront dispatchés vers nos destinations finales.

Je voyage avec des logs (logisticiens) et des administrateurs de MSF. La tension au sein du groupe est de plus en plus palpable alors que nous attendons notre avion à Santo Domingo. L'aérodrome est une base de transit essentiellement fréquentée par les équipes de journalistes et les différentes ONG actives à Haiti.

Après 2 heures d'attente dans une ambiance de départ au front, nous embarquons finalement pour un vol d'environ 1 heure à destination de Port-au-Prince.

9 février 2010


PORT-AU-PRINCE:

Arrivée à l'aéroport international de Port-au-Prince, à l'époque toujours impraticable pour les vols longs courriers civils, et géré par l'armée américaine. A la descente du bimoteur 10 places qui nous a transporté de Santo Domingo, le copilote nous lance: "Welcome to Haiti, here it's survival of the fittest, good luck in your mission..." Le ton est donné, l'ambiance est celle d'un pays en guerre avec des avions et hélicoptères militaires, principalement américains, décollant et atterrissant dans un balai continuel sur le tarmac surchauffé.

Les formalités d'entrée en Haiti sont succinctes pour les ONG et les journaliste. Trois véhicules nous attendent pour nous conduire à nos différents QG (MSF-Suisse, MSF-France, MSF-Belgique). L'ambiance en ville est chaotique, les quartiers que nous traversons sont en partie détruits, de nombreux véhicules s'amassent dans les embouteillages. La chaleur, l'omniprésence militaire, la désolation et le chaos environnant contribuent à tisser une ambiance particulière, un ambiance pesante, emprunte d'adrénaline. Malgré cette atmosphère, l'envie de se mettre dans le bain est irrésistible et nous sommes maintenant impatients de commencer nos mission, tous autant que nous sommes...
















Le QG de MSF-Suisse se situe dans les hauteurs de Port-au-Prince, au sein de ce qui fut un quartier résidentiel, relativement épargné par le séisme. Il s'agit d'une maison individuelle de 3 étages avec une terrasse sur le toit qui offre une vue imprenable sur toute la ville. La court intérieure sert de parc pour une quinzaine de véhicules MSF. L'entrée principale est occupée par le PC radio et les différents tableaux des départs et arrivées, cartes de la ville etc... Le premier étage sert de centre névralgique où se bousculent les expats dans un désordre organisé. Pas un mètre carré n'est inutilisé et je compte une vingtaine de postes informatiques pour les différentes ressources utilisées par MSF.

Après m'être présenté avec mes 3 compagnons de route (les autres ont été dirigé vers différents QG nationaux de MSF), on nous annonce nos destinations de mission: deux d'entre nous resteront à Port-au-Prince, quant à moi, mon départ est prévu une heure plus tard pour l'hôpital Sainte Croix à Léogâne...

Au cours de mon "périple", j'ai pris conscience du fonctionnement de MSF. C'est une ONG un peu atypique, une organisation qui utilise toutes les ressources locales et qui n'hésite pas à parfois transgresser les règles pour faire bouger les choses. Il y a peu d'inertie dans le fonctionnement de MSF, elle agit dans l'urgence et évolue dans des terrains où d'autres organisations perdent leur temps à évaluer des situations qui nécessitent une action immédiate, comme c'est le cas en Haiti.

MSF-Suisse gère plusieurs hôpitaux en Haiti, entre autres: Lycée (hôpital installé dans un ancien lycée) et Mickey à Port-au-Prince, l'hôpital Sainte Croix à Léogâne,... D'autres hôpitaux comme Cité-Soleil ou St Louis sont gérés par MSF-France ou MSF-Belgique. Chaque QG national de MSF gère ses propres installations et ses équipes.





LEOGÂNE:

Presque deux heures de route ont été nécessaires pour parcourir la trentaine de kilomètres qui séparent PaP de Léogâne. Durant ce trajet, je me rend compte de l'ampleur de la catastrophe. Des quartiers entiers de PaP sont détruits, la route est bordée de décombres et de réfugiés sans-abris, l'odeur et l'ombre de la mort sont oppressantes.
J'arrive dans un hôpital installé dans la cour d'un collège détruit de Léogâne. L'entrée de l'hôpital est gardée et le portail est orné du sigle de MSF. Environ 10 grandes tentes constituent les unités d'hospitalisation, côtoyées par une dizaine de tentes identiques qui servent d'habitation aux expats du camp. Une partie "en dur" a subsisté à l'entrée de l'hôpital et sert de stockage pour le matériel, elle abrite également le bloc opératoire.

















L'infrastructure peut recevoir une centaine de patients hospitalisés. L'unité ambulatoire (OPD) accueille plus de 150 consultations par jour. Il y a environ 35 expatriés et une cinquantaine d'employés Haitiens (chauffeurs, infirmières etc...). Les installations permettent également d'effectuer des distributions de vivres et de tentes à la population, ainsi que la prospection des régions avoisinantes pour établir les plans d'installation d'arrivée d'eau et d'écoulements (Wat/San).

Le service médical est assuré par deux chirurgiens (un orthopédiste et un chirurgien viscéral), sept médecins de premiers recours, dont des urgentistes et une pédiatre. L'équipe médicale compte également une quinzaine d'infirmières et un physiothérapeute. L'équipement permet d'effectuer des interventions d'urgence: plâtres, fixateurs externes et tractions. Il n'y avait pas de radiologie, ni de radioscopie. Les conditions sanitaires ne permettaient pas d'effectuer des fixations internes (plaques/vis/enclouages...).

L'essentiel des blessés du séisme présentent des traumatismes de l'appareil locomoteur: plaies, fractures etc...
Les maladies telles que la fièvre de Dengue, la malaria, les diarrhées, ainsi que les pathologies chroniques sont aussi prises en charge à Léogâne. L'hôpital comporte une maternité avec en moyenne une naissance par jour par voie basse ou césarienne.

J'arrive donc avec comme seul bagage mon sac à dos, ma valise n'ayant toujours pas été transférée de Santo Domingo depuis mon départ de Genève... L'administrateur responsable du camp, Pierluigi, ainsi que la responsable médicale, Nadia, m'accueillent et me présentent à l'équipe et notamment au chirurgien suisse Benjamin et au physiothérapeute grec Manoli qui ne cachent pas leur enthousiasme de voir arriver un orthopédiste. Je prend possession de mes "quartiers" dans une tente, à côté de Benjamin. Après une brève visite des installations, Pierluigi se propose de me briefer sur ma mission, ainsi que sur la situation locale. Pendant notre discussion, une secousse fait vibrer le sol durant 10 secondes et quelques pans des mûrs de l'école nous entourant finissent de s'écrouler...
Pierluigi me tend la main et me souhaite la bienvenue à Léogâne...

10 février 2010

Premier réel jour de travail à l'hôpital de Léogâne. La veille au soir nous avons effectué la visite quotidienne des patients hospitalisés, et plusieurs indications opératoires ont été retenues. Il s'agit de greffes de peau, ainsi que d'une amputation ouverte (cuisse basse), reprise d'une amputation jambe haute qui s'était infectée.
















Au programme opératoire du jour, ce sont encore rajoutés une césarienne en urgence sur pré-éclampsie qui a donné naissance à des jumeaux, ainsi que de nombreux débridements de plaie et autres traitements conservateurs de fractures. Quasiment toutes les blessures, que ce soient les plaies ou les fractures, datent du séisme. Certaines blessures ont déjà été prises en charge en urgence, parfois de manière inadéquate, et nécessitent un complément de traitement ou une reprise chirurgicale.

Les patients hospitalisés présentent des fractures et des plaies importantes dues au séisme. La moitié de ces patients présentent donc des traumatismes de l'appareil locomoteur, et je compte parmi eux une vingtaine de fractures du fémur en traction. Une tente entière de patients sont en traction, nous avons appelé cette unité le "Traction Ward".

La journée opératoire débute vers 8h et finit en général vers 18h-19h. Nous effectuons la visite des patients hospitalisés vers 18h et, après avoir réglé les problèmes du quotidien, nous planifions nos interventions du lendemain. Les journées se terminent avec le repas du soir en compagnie des autres expats aux alentours de 20h-22h. Les réunions du soir sont des moments privilégiés, ils nous permettent de nous détendre et d'organiser nos lendemains, ainsi que d'échanger nos expériences mutuelles avec les autres membres du camp qui effectuent leur mission au quotidien souvent à l'extérieur de l'hôpital (cliniques mobiles, distributions, expéditions et aide à la population).
















Une dizaine de véhicules sont à notre disposition en cas de besoin. Les sorties sont étroitement surveillés en raison des risques que courent les expatriés en dehors du camp (kidnapping, vol etc...).

Je me rend compte de la charge et des conditions de travail sur place. Bien que nous disposons du matériel de base de chirurgie, nous manquons toutefois de matériel simple comme des scies à plâtre, des moteurs pour la mise en place des fiches de fixateurs externes, d'agrafeuses à peau pour les greffes, etc... Nous ne disposons pas de radiologie, et la seule infrastructure permettant d'effectuer des radiographies dans le périmètre se situe à 10 minutes de voiture, dans l'hôpital militaire canadien de Léogâne.

Nous traitons une trentaine de cas par jour dans notre bloc opératoire. Les cas les plus simples (débridements, plâtres, tractions et réfections de pansement) sont effectués sur des tables d'examen au milieu du bloc opératoire. Les cas plus complexes, nécessitant un environnement "stérile", sont pris en charge dans la salle d'opération, séparée du bloc opératoire par des bâches et équipée d'une table et d'un matériel de base pour l'anesthésie. La plupart des anesthésies sont pratiquées à la Kétamine, ou en péridurale.

















L'organisation simple du bloc opératoire permet à deux chirurgiens de passer de table en table pour effectuer nos interventions. Nous sommes secondés par une équipe de cinq infirmières Haitiennes et deux infirmières-instrumentistes expats. Des aides de salle sont responsables d'amener les patients et de nettoyer les tables après chaque intervention.

































Cette première journée a donné le ton de ma mission et je réalise qu'elle sera difficile, parfois frustrante, mais indéniablement gratifiante...

11 - 16 février 2010

Cette première semaine m'a permis de me mettre dans l'ambiance. Les journées sont chargées et typiquement la matinée commence vers 6h30 avec le réveil et le petit déjeuner en équipe avec les autres expats du camp. Le repas est accompagné de Doxycycline, prophylaxie de la Malaria qui est endémique dans la région.















Nous préparons les cas électifs de la journée pour les patients dont l'indication opératoire a été posée la veille au soir lors de la visite des unités d'hospitalisation. Le bloc opératoire est opérationnel dès 8h00, et nos journées opératoires sont rythmées par les cas électifs et les cas ambulatoires, nous pratiquons en moyenne une trentaine d'interventions par jour, dont entre 5 et 10 dans la salle d'opération "fermée". La plupart des cas sont des traitement de plaies, de fractures avec traitements conservateurs (plâtres), fixateurs externes ou encore par traction. Nous effectuons quotidiennement des greffes de peau, intervention pour laquelle un protocole a été établi par Benjamin et que nous appliquons systématiquement. Nous traitons également la chirurgie "standard" du quotidien, les drainage d'abcès, les césariennes etc...






























La journée opératoire se termine vers 19h avec une courte pause pour nous restaurer. Nous effectuons une visite des patients hospitalisés chaque jour. Durant la visite, qui s'effectue avec les infirmières, le physiothérapeute et les différents intervenants (internistes, anesthésistes etc...), nous décidons du plan de traitement de nos patients et nous déterminons les indications opératoires du lendemain. Chaque patient possède un dossier dans lequel nous notons les suites opératoires et le plan de traitement avec ajustement de la médication. La tâche m'incombe de mettre sur pieds les plans de traitement des patients présentant des fractures, dont une vingtaine avec des fractures du fémur (le "traction ward"). Il s'agit de décider qui d'entre eux devra obtenir une radiographie sur la base d'une évaluation clinique. Qui pourra bénéficier d'une rééducation à la marche et quand, quel type de traction devra être appliqué, pour combien de temps et avec quel poids... Je décide également des indications opératoires pour les patients orthopédiques, en collaboration avec Benjamin en ce qui concerne les plaies et les greffes. J'ai également établi une liste Excel pour répertorier les patients et pour mettre par écrit leur plan de traitement, liste qui sera utile pour les infirmières, mais aussi pour mon successeur afin qu'il puisse assurer le suivi des traitements entrepris.















La visite et la journée de travail s'achève donc vers 21h-22h avec le repas et la réunion du soir, parfois agrémentée de Rhum Haitien, de musique, ou par un briefing des administrateurs du camp et des différents protagonistes de MSF...

Les interactions avec les autres expats du camp sont très fructueuses, on s'échange nos anecdotes de la journée, nos expériences passées et nos projets futurs.

Outre ma rencontre avec une population meurtrie par cette catastrophe naturelle et humanitaire, j'ai eu l'honneur de côtoyer des gens extraordinaires. Parmi eux des administrateurs, les logisticiens, des physiothérapeutes, des infirmières, des médecins ... Tous et toutes proviennent de milieux et de classes sociales différentes et hétéroclites, mais ils présentent un point en commun: une dévotion pour leur prochain, pourtant loin des modèles religieux et des clichés de "sauveurs de l'humanité". J'ai une grande admiration pour tous ceux et celles que j'ai pu rencontrer sur le terrain, et ce blog leur est dédié...

Florilège de cas

Ces deux semaines furent riches en expérience. J'ai vu plus de cas au cours de cette quinzaine qu'en deux ans de pratique dans un hôpital "occidental". Les plaies étaient nombreuses, certaines étaient infectées, voire même "infestées" d'asticots, parmi d'autres surprises...


















Les cas désespérés étaient nombreux, la frustration engendrée était d'autant plus amer que la prise en charge de ce genre de cas fait partie de mon cahier des charges au quotidien dans mon activité professionnelle en Suisse.
Il s'agissait de fractures nécessitant une chirurgie standard et protocolaire dans n'importe quel centre de traumatologie, sauf ici en Haiti, où la chirurgie était limitée par les infrastructures détruites ou inadaptées...

Je me souviens de cet homme qui se présente à notre service d'urgence avec une plaie à la paupière. Malgré l'instauration d'antibiotiques, la plaie s'infecte rapidement, on pense à un Anthrax... Le patient a dû être intubé en urgence en raison de difficultés respiratoires, son visage était tellement tuméfié que l'intubation a été effectuée in extremis. Il ressorti vivant de son aventure, mais perdit son oeil...















Durant cette période et parmi de nombreux autres cas, je me souviens avoir pris en charge un homme d'une quarantaine d'années avec une fracture complexe du fémur proximal, son membre inférieur était raccourci et en rotation externe. Il voyait un médecin pour la première fois, trois semaines après le séisme. J'ai dû réduire sa fracture en effectuant une manoeuvre pour la re-casser et placer le membre en traction surélevée.





























De nombreux enfants ont été pris en charge dans notre infrastructure, notamment des plaies, dont celle de ce garçon de 6 ans avec une plaie par dégantage du cuir chevelu. La fermeture de cette plaie a nécessité plusieurs interventions, dont des lambeaux de rotation effectués par un chirurgien plasticien "de passage".

Une petite fille de 9 ans présentait des symptômes d'ostéomyélite de son fémur. Son cas a intéressé plusieurs de nos confrères que nous avons sollicité, un diagnostic différentiel de sarcome avait été évoqué au vu des radiographies que nous avons pu effectués. Nous avons entrepris une biopsie osseuse dont les prélèvements ont été adressés aux USA pour analyse. Le verdict nous a rassuré: il s'agissait bien d'une ostéomyélite qui a pu être traitée par antibiothérapie.

Nous disposions de trois type d'antibiotiques: une Céphalosporine de première génération, une Pénicilline et de la Ciproxine.

Le quotidien réservait également son lot de situations inattendues: la traumatologie de tous les jours devait également être prise en charge: les gens tombaient des motos, des camions, se faisaient renversés ou écrasés.
Nous recevions également les appendicites, les cas de Tetanos, Malaria, fièvre de Dengue etc..



17 - 24 février 2010

Chaque jour réserve ses surprises, bonnes ou mauvaises. Beaucoup a pu être accompli: nous avons pu organiser le transfert d'une quinzaine de patients présentant des fractures pour obtenir des radiographies. Ces transfert ont nécessité une organisation minutieuse, la seule infrastructure avoisinante possédant une radiologie étant l'hôpital militaire canadien, situé à 10 minutes de voiture. Il fallait préparer nos patients qui avaient des tractions à leur membre fracturé. Notre physiothérapeute Manoli ou moi-même devions accompagner les patients. Une fois sur place, les patients obtenaient leurs radiographies puis les images étaient gravées sur un CD, ce qui nous a permis de prendre des décisions quant au devenir de chacun de ces patients.















Mes confrères de l'armée canadienne m'ont également sollicité pour donner mon avis sur l'un ou l'autre de leur patient. Malgré une certaine compétition que se livre les différentes ONG sur place, les interactions entre confrères étaient empruntes de respect. Nous tirions tous à la même corde, celle de l'entraide mutuelle.

Les contacts avec les chirurgiens provenant d'autres ONG, principalement américaines, étaient nombreuse et constructives. Ces chirurgiens mettaient leur compétence et parfois leur matériel à notre disposition en cas de besoin. Nous en faisions de même pour eux. Ainsi, nous avons pu solliciter des confrères chirurgiens plasticiens, chirurgiens de la main ou encore orthopédistes-pédiatres, confrères que je tiens à remercier dans ces lignes: Craig, Christina, Phil, Tim, Anthony et les autres...

































Benjamin n'en revenait pas: nous avions réussi à organiser un consilium multidisciplinaire pour discuter de quelques cas difficiles avec nos confrères américains. Notre petit hôpital de campagne prenait des airs de centre universitaire, un souvenir inoubliable, et un événement utile pour nos patients puisque nous avons pris des décisions importantes, notamment des indications de transferts pour effectuer des fixations internes de fractures: une infrastructure allait débuter ce programme ambitieux dans un avenir proche à l'hôpital MSF St Louis à Port-au-Prince, déjà submergé par les demandes...















Le matériel que nous avions à disposition à Léogâne était suffisant pour les traitements de base que nous proposions, mais nettement insuffisant par rapport à ce qu'exigeait la situation. Nous manquions cruellement d'infrastructure permettant la fixation interne par plaques/vis ou enclouages centromédullaires.

Les premières interventions effectuées les jours suivant le séisme se sont souvent soldée par des échecs. Les interventions ont soit été effectuées de manière inadéquate, dans des infrastructures inadaptées et ont trop souvent donné lieu à des complications, notamment des infections nécessitant de nombreuses reprise chirurgicales. Beaucoup de cas étaient malheureusement dépassés et nécessitaient une prise en charge impossible à effectuer en Haiti, faute d'infrastructure adaptée.

Nous avons traité des centaines de cas, souvent de manière appropriée, parfois de manière désespérée, mais toujours avec la conviction que nous faisions de notre mieux pour nos patients.

24 - 26 février 2010

Personne ne voit vraiment le temps passé dans ces conditions, mais j'étais arrivé à Léogâne depuis déjà deux semaines... Il était temps de préparer mon départ. Un chirurgien orthopédiste arriva le 24 février pour me relever. La liste des patients et leur plan de traitement étaient mis à jour, une transmission a pu être effectuée et un visite des patients a pu être organisée juste avant mon départ. Ce fût un moment émouvant de quitter mes patients avec qui j'avais tisser des liens de confiance. Les adieux furent difficiles... Je n'aurais pas la satisfaction de voir marcher les patients du "Traction Ward", mon successeur aura probablement ce privilège.

Nous avons pu organiser trois interventions pour des fixations internes chez des patients qui allaient partir le lendemain pour Port-au-Prince. Quant à moi, mon départ était prévu dans l'après-midi. Deux heures de route pour rejoindre le QG de MSF-Suisse à PaP et de là attendre un vol pour Santo Domingo avant mon retour en Europe. J'ai profiter de ces 2 jours à PaP pour visiter les installations de MSF dans la capitale Haitienne. J'ai pu rencontrer mes homologues des différents hôpitaux de PaP: Lycée, Cité-Soleil et Mickey, et d'échanger nos impressions et nos expériences mutuelles.

La nuit passée à Port-au-Prince fût marquée par une importante secousse de réplique qui réveilla tous les expats de la maison qui nous abritait... Peu d'entre nous se sont endormis après cette expérience. J'avais vécu deux répliques à Léogâne, mais nous étions abrités par des tentes qui ne risquaient pas de s'écrouler. A PaP chaque secousse est ressentie de manière bien plus dramatique dans les bâtiments en dur, qui présentent encore une réelle menace pour les occupants.

Le lendemain après-midi un vol MSF me ramène à Santo Domingo où je passe une nuit dans un hôtel avec au programme repos et debriefing avant d'embarquer le 26 février pour le vieux continent...

Epilogue

On me pose souvent la question, à savoir si cette mission était une bonne expérience... Ce à quoi je répond que c'était une expérience inattendue, une claque...
Les raisons qui m'ont poussées à m'engager dans cette mission sont essentiellement au départ la volonté de mettre mes compétences à disposition de ceux qui le nécessitent le plus, de ne pas me dire un jour que "j'aurais pu faire quelque chose"...

Les raisons qui m'ont motivées, et qui me motivent toujours à l'heure actuelle d'effectuer d'autres missions humanitaires, sont plus différenciées. Lorsqu'on choisit de s'engager dans une carrière chirurgicale, il faut être conscient que l'on s'engage dans un monde bien particulier. Il ne s'agit pas uniquement du bistouri et des opérations, il faut se préparer à embrasser une vie faite de décisions, de responsabilités, mais aussi imprégnée de compétition, de gloire, de frustration, et d'adrénaline... Dans une situation comme en Haiti, les circonstances nous poussent à revenir à l'essentiel: les patients. Il ne subsiste plus de compétition, ni de gloire, ni de congrès, il n'y a plus qu'une relation patient-médecin, la quintescence-même de notre vocation.

De retour dans un hôpital moderne, j'apprécie de renouer avec les autres aspects de mon métier, ceux cités plus haut. Toutefois mon expérience en Haiti m'a remis en mémoire ce pourquoi j'ai choisi ce métier, la base de mon travail.

Je partirais demain si j'en avais la possibilité...