PORT-AU-PRINCE:
Arrivée à l'aéroport international de Port-au-Prince, à l'époque toujours impraticable pour les vols longs courriers civils, et géré par l'armée américaine. A la descente du bimoteur 10 places qui nous a transporté de Santo Domingo, le copilote nous lance: "Welcome to Haiti, here it's survival of the fittest, good luck in your mission..." Le ton est donné, l'ambiance est celle d'un pays en guerre avec des avions et hélicoptères militaires, principalement américains, décollant et atterrissant dans un balai continuel sur le tarmac surchauffé.
Les formalités d'entrée en Haiti sont succinctes pour les ONG et les journaliste. Trois véhicules nous attendent pour nous conduire à nos différents QG (MSF-Suisse, MSF-France, MSF-Belgique). L'ambiance en ville est chaotique, les quartiers que nous traversons sont en partie détruits, de nombreux véhicules s'amassent dans les embouteillages. La chaleur, l'omniprésence militaire, la désolation et le chaos environnant contribuent à tisser une ambiance particulière, un ambiance pesante, emprunte d'adrénaline. Malgré cette atmosphère, l'envie de se mettre dans le bain est irrésistible et nous sommes maintenant impatients de commencer nos mission, tous autant que nous sommes...
Le QG de MSF-Suisse se situe dans les hauteurs de Port-au-Prince, au sein de ce qui fut un quartier résidentiel, relativement épargné par le séisme. Il s'agit d'une maison individuelle de 3 étages avec une terrasse sur le toit qui offre une vue imprenable sur toute la ville. La court intérieure sert de parc pour une quinzaine de véhicules MSF. L'entrée principale est occupée par le PC radio et les différents tableaux des départs et arrivées, cartes de la ville etc... Le premier étage sert de centre névralgique où se bousculent les expats dans un désordre organisé. Pas un mètre carré n'est inutilisé et je compte une vingtaine de postes informatiques pour les différentes ressources utilisées par MSF.
Après m'être présenté avec mes 3 compagnons de route (les autres ont été dirigé vers différents QG nationaux de MSF), on nous annonce nos destinations de mission: deux d'entre nous resteront à Port-au-Prince, quant à moi, mon départ est prévu une heure plus tard pour l'hôpital Sainte Croix à Léogâne...
Au cours de mon "périple", j'ai pris conscience du fonctionnement de MSF. C'est une ONG un peu atypique, une organisation qui utilise toutes les ressources locales et qui n'hésite pas à parfois transgresser les règles pour faire bouger les choses. Il y a peu d'inertie dans le fonctionnement de MSF, elle agit dans l'urgence et évolue dans des terrains où d'autres organisations perdent leur temps à évaluer des situations qui nécessitent une action immédiate, comme c'est le cas en Haiti.
MSF-Suisse gère plusieurs hôpitaux en Haiti, entre autres: Lycée (hôpital installé dans un ancien lycée) et Mickey à Port-au-Prince, l'hôpital Sainte Croix à Léogâne,... D'autres hôpitaux comme Cité-Soleil ou St Louis sont gérés par MSF-France ou MSF-Belgique. Chaque QG national de MSF gère ses propres installations et ses équipes.
LEOGÂNE:
Presque deux heures de route ont été nécessaires pour parcourir la trentaine de kilomètres qui séparent PaP de Léogâne. Durant ce trajet, je me rend compte de l'ampleur de la catastrophe. Des quartiers entiers de PaP sont détruits, la route est bordée de décombres et de réfugiés sans-abris, l'odeur et l'ombre de la mort sont oppressantes.
J'arrive dans un hôpital installé dans la cour d'un collège détruit de Léogâne. L'entrée de l'hôpital est gardée et le portail est orné du sigle de MSF. Environ 10 grandes tentes constituent les unités d'hospitalisation, côtoyées par une dizaine de tentes identiques qui servent d'habitation aux expats du camp. Une partie "en dur" a subsisté à l'entrée de l'hôpital et sert de stockage pour le matériel, elle abrite également le bloc opératoire.
L'infrastructure peut recevoir une centaine de patients hospitalisés. L'unité ambulatoire (OPD) accueille plus de 150 consultations par jour. Il y a environ 35 expatriés et une cinquantaine d'employés Haitiens (chauffeurs, infirmières etc...). Les installations permettent également d'effectuer des distributions de vivres et de tentes à la population, ainsi que la prospection des régions avoisinantes pour établir les plans d'installation d'arrivée d'eau et d'écoulements (Wat/San).
Le service médical est assuré par deux chirurgiens (un orthopédiste et un chirurgien viscéral), sept médecins de premiers recours, dont des urgentistes et une pédiatre. L'équipe médicale compte également une quinzaine d'infirmières et un physiothérapeute. L'équipement permet d'effectuer des interventions d'urgence: plâtres, fixateurs externes et tractions. Il n'y avait pas de radiologie, ni de radioscopie. Les conditions sanitaires ne permettaient pas d'effectuer des fixations internes (plaques/vis/enclouages...).
L'essentiel des blessés du séisme présentent des traumatismes de l'appareil locomoteur: plaies, fractures etc...
Les maladies telles que la fièvre de Dengue, la malaria, les diarrhées, ainsi que les pathologies chroniques sont aussi prises en charge à Léogâne. L'hôpital comporte une maternité avec en moyenne une naissance par jour par voie basse ou césarienne.
J'arrive donc avec comme seul bagage mon sac à dos, ma valise n'ayant toujours pas été transférée de Santo Domingo depuis mon départ de Genève... L'administrateur responsable du camp, Pierluigi, ainsi que la responsable médicale, Nadia, m'accueillent et me présentent à l'équipe et notamment au chirurgien suisse Benjamin et au physiothérapeute grec Manoli qui ne cachent pas leur enthousiasme de voir arriver un orthopédiste. Je prend possession de mes "quartiers" dans une tente, à côté de Benjamin. Après une brève visite des installations, Pierluigi se propose de me briefer sur ma mission, ainsi que sur la situation locale. Pendant notre discussion, une secousse fait vibrer le sol durant 10 secondes et quelques pans des mûrs de l'école nous entourant finissent de s'écrouler...
Pierluigi me tend la main et me souhaite la bienvenue à Léogâne...